La règle étant de permettre à tout pays musulman d’envoyer un habitant sur mille au pèlerinage, le quota accordé au Maroc pour le pèlerinage est d’environ 30 000 pèlerins par an. Toutefois, aussi important que ce nombre semble, il est dérisoire en comparaison avec le nombre de Marocains qui veulent chaque année accomplir le Haj. «Visiter les Lieux saints est le rêve de ma vie. J’essaie de partir depuis des années et je m’inscris au tirage au sort chaque année, mais malheureusement le Haj ne m’a toujours pas appelé», confie Mohamed.
Aller à la Mecque pour accomplir le Haj est le rêve de plus d’un. Même ceux qui ont déjà eu la chance de fouler cette terre sacrée rêvent de repartir. «La Mecque est un lieu tellement impressionnant que dès que tu y mets les pieds, tu n’as plus envie de repartir. C’est la raison pour laquelle je continue de m’inscrire au tirage au sort, peut-être que je réussirai à repartir une nouvelle fois, surtout que je n’ai pas de problèmes financiers. Et si je trouve un autre moyen que le tirage au sort, je n’hésiterai pas à l’utiliser. J’ai très envie de revoir ce Lieu saint, jamais je ne me suis sentie aussi proche de Dieu qu’en étant là-bas. C’est époustouflant», indique Hajja Fatiha.
C’est justement pour accorder à tous les Marocains des chances, plus ou moins égales d’accomplir le 5e pilier de l’Islam, que le Maroc a opté pour le système du tirage au sort. Comment se déroule-t-il ? Les citoyens intéressés par le pèlerinage s’inscrivent au niveau des arrondissements et le tirage au sort est programmé près d’un mois avant le mois sacré de Ramadan, annonçant les heureux «gagnants» qui accompliront le Haj de l’année suivante. «Le tirage au sort est une procédure longue et hasardeuse. Nous devons nous inscrire des mois avant la date du Haj et en plus, certains m’ont expliqué que la corruption est monnaie courante dans certains arrondissements, même si le tirage se fait en plein public», lance Issam, qui confie qu’on lui a expliqué que les personnes chargées du tirage mettent certaines enveloppes dans le réfrigérateur la nuit avant le jour J afin de les reconnaître le lendemain au toucher !
Partir d’ailleurs
Toutefois, malgré la bonne intention de la procédure, certaines personnes pressées ou impatientes ne tolèrent pas d’attendre d’être tirées au sort et tentent de partir par tous les moyens. «Cela fait quatre ans que nous nous inscrivons sans relâche au tirage au sort, ma femme, ma mère et moi, en vain. Je commence à douter de la fiabilité de ce système. Qu’est-ce qui me garantit que le tirage se fait réellement en toute objectivité et qu’il n’y a aucune triche ? Et puis ma mère est une vieille femme et je veux lui offrir ce voyage magnifique, parce que je sais à quel point elle désire accomplir le Haj. Alors j’ai décidé de partir en Italie et de déposer la demande de visa saoudien depuis là-bas pour éviter le tirage au sort», souligne Ismail.
En effet, partir à un pays étranger est l’une des solutions les plus prisées par les Marocains surtout ceux d’entre eux qui ont une carte de séjour valable. «J’ai accompli le Haj cette année, Dieu merci, mais pour cela j’ai dû m’inscrire à partir du Canada, et ce afin d’éviter le système de tirage au sort mis en place au Maroc pour contrôler le nombre de pèlerins chaque année. Je comprends les bonnes intentions des autorités marocaines qui les ont poussés à penser à ce système, mais j’avais tellement envie de visiter les Lieux saints de l’Islam et accomplir le 5e pilier de la religion, que je ne pouvais me résigner à prendre le risque de ne pas être tiré au sort. Alors, j’ai profité du fait d’avoir une carte de séjour canadienne en cours de validité pour m’inscrire au Haj», raconte Kamal.
Omra prolongée
Ceux qui n’ont pas la possibilité de partir à l’étranger pour s’inscrire au pèlerinage optent pour une autre solution, presque tout aussi coûteuse, à moins d’être un pro de la débrouillardise. «Cela fait deux ans que j’avais réussi à mettre assez d’argent de côté pour accomplir une Omra pendant le mois sacré du ramadan, mais pas assez pour le Haj et en plus je n’avais pas envie de prendre le risque de ne pas être tirée au sort. Alors j’ai choisi une solution extrême : camper à la Mecque jusqu’au moment du Haj», indique Naima. Et de poursuivre : «Afin de pouvoir vivre sur place, j’ai travaillé en tant que femme de ménage pendant les deux mois qui séparent Ramadan du Haj et mes enfants m’ont payé le billet du retour par la suite». Un grand nombre de Marocains choisissaient cette option, tout en se débrouillant pour se nourrir et se loger pendant la durée entre l’Omra et le Haj. Toutefois, ayant pris connaissance de ces manigances qui ont tendance à perturber le calcul des autorités saoudiennes, ces dernières ont décidé de réagir. Résultat, tout Marocain désirant accomplir l’Omra du mois sacré de Ramadan, signe une déclaration sur l’honneur dans laquelle, il s’engage à revenir après la fin de la Omra et qu’il ne tentera pas de rester, sinon il sera interdit de fouler le sol saoudien durant cinq ans. «Les choses ne sont plus comme avant. Il n’y a plus de possibilité de rester sur place pendant l’Omra», assure tristement Malika, qui avoue y avoir pensé aussi.
«Moujamala»
Outre ces astuces employées par les Marocains pour esquiver le système du tirage au sort, certains ont la chance de bénéficier d’une «complaisance» accordée par l’ambassade de l’Arabie Saoudite. Cette «Moujamala» attribuée gratuitement à certaines personnes ayant des relations privilégiées avec l’ambassade ou souffrant de conditions de vie particulières (personnes défavorisées), permettent à certains Marocains de s’octroyer un visa saoudien leur permettant d’accomplir le Haj. «Cette Moujamala accordée par l’ambassade entre dans le cadre de la place privilégiée qu’accordent les autorités saoudiennes au Maroc», affirme un professionnel qui a préféré garder l’anonymat. Cette offre gracieuse qui fait le bonheur d’une centaine de citoyens chaque année a malheureusement été détournée de son but principal. En effet, quelques mauvaises personnes en profitent pour demander des sommes extravagantes aux pèlerins. «Certaines agences de voyage proposent aux personnes désireuses d’accomplir le Haj et n’ayant pas été tirées au sort de leur apporter un visa saoudien qui leur offre l’opportunité d’accomplir le pèlerinage hors du circuit officiel, à condition d’y mettre le prix adéquat, ce qu’acceptent les citoyens sans se poser de question. Sauf qu’ils ignorent que ces visas sont donnés de manière gratuite à la base», confirme la même source, qui assure que ces agences frauduleuses déposent des demandes auprès de l’ambassade saoudienne aux noms de ces personnes et obtiennent des visas gratuits, qu’ils se pressent, par la suite de vendre au prix cher aux personnes intéressées. «Il est important de souligner que ces arnaques et ces trafics se déroulent hors des compétences de l’ambassade et des gens qui y travaillent. Le seul but de l’ambassade saoudienne est de faire plaisir aux citoyens marocains», assure la source en question.
De son côté, la Fédération nationale des agences de voyage au Maroc (FNAVM) se défend de toute arnaque contre les Marocains. «Il faut savoir que la loi autorise les agences de voyage attributaires de quota du Haj, à prendre en charge les pèlerins bénéficiant d’un visa Moujamala à condition de les déclarer au ministère du Tourisme, ainsi qu’à l’office des changes. Nous ne sommes pas du tout concernés par les trafics qui se déroulent autour de ce visa», insiste Omar Sabri, secrétaire général de la FNAVM et président de l’Association régionale des agences de voyage de Casablanca. Et de préciser : «Nous n’avons aucun lien avec ces rabatteurs et nous ne comprenons même pas comment ils se débrouillent pour obtenir ces visas, ni comment ils réussissent à déjouer les circuits légaux. De notre part, nous avons pris la décision de nous protéger et de déclencher des opérations afin de connaître ces personnes qui nuisent à la réputation et à l’image de notre profession».
Sabri souligne également qu’en tant que service concerné qui se respecte, les agences de voyage ne peuvent pas se permettre de commettre ce genre de fraudes qui pourraient pousser le ministère du Tourisme à leur retirer l’attribution du quota du Haj ou mettre en péril la notation de leurs dossiers de l’année suivante. En effet, le ministère exerce une surveillance rigoureuse et pose des conditions draconiennes aux agences qui veulent se voir attribuer le précieux sésame.
Par ailleurs, selon le président du Conseil des Oulémas de Casa-Anfa, Omar Mohssine, ce genre de trafic est interdit. «Si les autorités concernées accordent un certain nombre d’autorisations à la personne pour qu’elle les utilise comme bon lui semble, il n’y a aucun problème à ce qu’elle les revende. Par contre, si ces autorisations sont attribuées à une personne déterminée à titre gratuit et que l’autre s’amuse à les vendre, ceci est religieusement interdit», certifie-t-il.